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Strange Beasts : entretien avec Magali Barbé, sa créatrice

Ecrit, réalisé et produit par Magali Barbé, Strange Beasts a été sélectionné par Vimeo en tant que « court-métrage de la semaine » il y a trois semaines : une récompense qui a valu à sa créatrice l’attention des médias comme le Huffington Post et, forcément, Cult’n’Click.

Imaginez un Pokemon Go de nouvelle génération dont les créatures, virtuelles, seraient les compagnons de votre quotidien. Le monde ainsi augmenté, la frontière séparant la réalité et le virtuel serait poreuse. Le film de Magali nous raconte le rapport que Victor, créateur du jeu, entretient avec ses créatures. Il interroge le spectateur sur l’univers dont il choisira de s’entourer dans quelques décennies lorsque la technologie lui donnera le loisir de définir lui-même sa propre réalité.

Entre Londres et Los Angeles, Magali a eu la gentillesse de répondre à nos questions sur son film, ses passions et ses projets à venir :

 

Strange Beasts évoque la frontière de plus en plus ténue entre réalité et univers virtuels. Pourquoi ce thème te tient-il à cœur ?

Je suis animatrice en « VFX / previs artist » à Londres depuis huit ans. VFX signifie visual effects ou effets spéciaux en français. La prévisualisation ou previs consiste à créer des plans ou séquences en 3D afin de vérifier qu’ils fonctionnent, avant de tourner le film. Du coup, je suis constamment entre le virtuel et le réel. C’est quelque chose dans lequel je baigne : les effets spéciaux, la prévisualisation mais aussi l’arrivée des départements VR (réalité virtuelle) et AR (réalité augmentée) dans les boites de post-production. Il me semble que l’on est d’abord inspiré par ce que l’on a autour de soir. Donc, pour moi, c’est tout cela… entre autres !

Dans vingt ans, comment envisages-tu la place de la réalité virtuelle dans notre vie quotidienne ?

Dans vingt ans, c’est difficile à dire ! J’ai bien quelques idées mais je ne peux pas en dire trop car certaines sont pour des scénarios sur lesquels je travaille. Mais pour essayer de répondre à ta question, je pense au virtuel comme à une extension de ce que nous connaissons aujourd’hui. Il a pris une telle importance face au matériel. Aujourd’hui, nos photos sont numériques, les films se regardent sur Netflix et Amazon. Eux-aussi n’ont plus d’existence matérielle. Finies les boîtes DVD. On communique via Skype et on sort moins de chez soi… Au-delà de la réalité virtuelle, je pense surtout à la dématérialisation des choses qui nous entourent.


Walter avant l'application de textures

Pour réaliser Strange Beasts, quelles ont été tes sources d’inspiration, tant pour la narration que pour imaginer la créature Walter ?

Strange Beasts était dans un premier temps un canular. Je n’avais pas initialement prévu de faire un court métrage. Je voulais imaginer un jeu vidéo un peu futuriste, créer une fausse pub pour ce jeu et la partager sur Youtube pour observer la réaction des gens. J’espérais que beaucoup aimeraient le jeu et auraient envie de l’acheter. Puis en traînant sur Youtube, j’ai réalisé que des canulars de ce style existaient déjà, très bien réalisés et sur des thèmes plus ou moins similaires. J’ai donc réfléchi à une narration en commençant par cette question : qu’ai-je à dire sur la réalité virtuelle et sur cette notion de dématérialisation du monde ? L’idée de l'autre personnage important du film, Anna, m’est donc venue assez naturellement. Elle découlait d’une réflexion à long terme sur le sujet.

Dès le début, je souhaitais que Walter soit un petit dragon mignon. Je me suis évidemment inspirée de Dreamworks (How to train your dragon 1 et 2) mais également pas mal de Pokemon. Ce sont mes potes Jonathan Djob Nkondo, puis Dean Frater, qui s’en sont occupés. Je leur ai donné des feedbacks, un peu de direction artistique en somme. Mais les designs sont vraiment d’eux.


Magali sur le tournage de Strange Beasts

Tu crées des personnages virtuels en 3D, humains, animaux ou fantasmagoriques. De l’idée au résultat final, quelle est ta démarche ?

A la base, je suis animatrice. L’animation, c’est l’art du mouvement. Je ne crée pas les personnages moi-même, à part dans Strange Beasts où j’ai dû y participer, en plus du reste. En tant qu’animatrice, j’utilise un ‘rig’. En gros, si je devais vulgariser les étapes du procédé 3D/VFX, du début au résultat final :

  • Le Design (dessins, digital paintings…) en 2D : ce sont des études et elles font partie de la préproduction,
  • Le Modeling : l’interprétation des dessins avec une certaine liberté créative. On peut parler véritablement de scultpure numérique,
  • Le Rigging, Skinning : vous avez désormais une sculpture, très bien, mais il faut la faire bouger. Pour cela, il faut créer un squelette (le rig), puis assigner des points de son maillage (sculpture) qui contrôlent la façon dont bouge telle ou telle partie du corps. C’est ce qu’on appelle le skinning,
  • L’animation : comme un marionnettiste, on fait bouger le personnage,
  • La texture et le rendu : quand on anime un personnage ou une créature, ils sont souvent gris et en basse résolution : jamais très sexy à l’écran. Donc en parallèle de l’animation, d’autres départements s’occupent de les texturer (comme un motif sur un vêtement), créent des ‘shaders’ qui définissent les propriétés réflectives des matériaux. Le bois ne réfléchit pas la lumière comme le verre, par exemple,
  • Les effets : pour les effets spéciaux, tels que créer des poils sur une créature, mais également des explosions, de la fumée etc…
  • Le Compositing : réunir toutes les passes de rendu et les assembler, les régler ensemble pour créer l’image finale,
  • Le Color Grading : l’étape finale. On règle l’équilibre des couleurs du film, plan par plan.

Ouf ! Voilà, c’est un peu vulgarisé, mais en gros, c’est cela.

Quels sont tes rapports avec le cinéma ?

Bien sûr, j’adore le cinéma mais j’avoue sélectionner pas mal ce que je regarde. Il y un tel choix. Et puis je n’aime pas que le cinéma. Je suis passionnée d’arts visuels en général, le dessin et la peinture principalement. J’adore la culture geek mais je ne joue pas… pas le temps !

Cependant, je ne sais pas si je peux me considérer cinéphile. J’ai tellement de potes qui regardent 100 fois plus de films que moi. Mais je pense que j’ai la chance d’avoir des influences assez diverses. J’adore la science-fiction au sens large comme Gattaca, Brazil, Moon… J’aime aussi l’animation (Pixar, Disney), la Japanim: Studio 4C, Ghibli, et la French Anim of course : Sylvain Chomet, les courts métrages des Gobelins !

J’aime un certain cinéma français : La haine, Le prophète par exemple… ou dans un genre très différent, un de mes films français préférés, Le goût des autres d’Agnes Jaoui. J’adore aussi les films de Wong Kar Wai. Sinon, les trois derniers films que j’ai vraiment aimés sont Mud (Jeff Nichols), Last train to Busan (film coréen de zombies de Sang-ho Yeon) et La la land de Damien Chazelle.


Quelques exemples de projets auxquels Magali a contribué

Tu as travaillé pour de grands studios comme Motion Pictures (Le livre de la jungle, Seul sur Mars, les Harry Potter), The Third Floor (les films Marvel)… Vu de l’intérieur, à quoi ressemblent-ils ?

Un studio de post-production, c’est… gros : de gros "open spaces" sur plusieurs étages, des ordinateurs partout. La plupart des boites de post-prod londoniennes (quasiment toutes en fait) sont regroupées à Soho dans le centre. Comme la plupart des gens bougent sans arrêt d’une boite à une autre, tu fais rarement une pause dej’ sans croiser quelqu’un que tu connais. Cependant, il s’agit d’un milieu assez compétitif. Il faut être au taquet, tout le temps progresser pour ne pas se retrouver largué. C’est parfois difficile mais aussi stimulant.

J’aime bien travailler en équipe. Sur Wonder Woman, j’étais ‘previs artist’. Je me suis bien amusée sur ce projet en particulier. L’équipe était super, je bossais entourée de bons potes dans une bonne ambiance. De très bons souvenirs sur cette prod. Mais dans ce milieu-là comme n’importe quel autre, il y a de tout : des gens très geeks, des passionnés de cinéma, des gens très créatifs, d’autres moins… des gens sympas, d’autres moins… Pour la petite note féministe, même si je n’aime pas trop ce terme, il faut tout de même avouer qu’il y a peu de filles dans la 3D. La situation a évolué, bien-sûr, mais le compte n’y est encore pas. La misogynie est bien présente dans ce milieu. Je ne fais pas de généralités - j’insiste - mais elle est quand même fréquente. Quand t’es une fille, un superviseur va parfois te faire moins facilement confiance. Je me suis même retrouvée face à des débutants qui ont une attitude très condescendante, en mode ‘je t’explique comment ça marche…’ Je suis tout de même ‘senior’ avec 8 ans d’expérience ! Il faut souvent prendre sur soi et parfois envoyer balader. Cela durcit la personnalité.

Tes œuvres sur Tumblr représentent essentiellement des corps en mouvement. Depuis huit ans, tu as fait du virtuel et de la 3D tes spécialités. Comment s’est passé ton passage du papier à la tablette ?

Olala ! Je n’assume pas tout ce que j’ai posté sur mon tumblr. J’ai fait des études d’arts graphiques mais j’ai toujours eu plein d'amis dans l’anim. A l’époque, je voulais juste dessiner, encore et encore. Pour être très honnête, je me suis retrouvée face à des mecs tellement doués en dessin que cela m’a un peu déprimée. J’ai du mal avec cette notion de talent inné, mais le dessin… comment dire... cet art requiert beaucoup de travail bien-sûr mais il faut en plus ce petit truc qui fait que si tu ne l’as pas, ta situation est vraiment difficile, voire douloureuse parfois.

J’ai fait une petite formation à l’université de Bournemouth où j’ai appris le logiciel XSI qui n’existe plus depuis. Aujourd’hui, je travaille avec Maya pour la 3D. Je me suis toujours dit que la 3D était une super compétence à avoir. La formation à Bournemouth était franchement médiocre, je ne la recommanderais pas. Si je devais conseiller une formation, ce serait celles en ligne : AnimationMentor et AnimSchool. C'est un peu cher mais tout de même moins cher que de subir 4 ou 5 ans d'études privées. J’ai énormément appris dans ma première année dans une grosse boîte, Framestore. J’ai travaillé sur Prince of Persia de Mike Newell avec Jake Gyllenhaal. Je devais rattraper le retard. Que d’heures sup !


Dans les mains d'UTA, une agence qui représente des talents créatifs (acteurs, réalisateurs, producteurs, scénaristes)

Quels sont tes projets à venir ?

C’est un peu dingue… Depuis la sortie du film sur le net, j’ai été contactée par de nombreux studios et producteurs de L.A. J’ai d’abord paniqué, je n’ai pas dormi ni mangée pendant trois jours. C’était il y a deux semaines. Maintenant, je travaille avec un manager ainsi que United Talent Agency qui représente entre autres Alphonso Cuaron, les frères Cohen, Wes Anderson… Oui, c’est très intimidant ! Je travaille, bien entourée, sur la version longue de mon court métrage. Même si j'ai des compétences dans l'image, mon truc, c'est vraiment l'écriture. C'est ça qui les intéresse.

Je vais à L.A à la fin du mois pour rencontrer plein de gens. Je suis sur un nuage bien-sûr mais je garde la tête froide. C’est très bien parti mais pour l’instant, rien n’est fait. Et le plus important, c’est désormais de faire le meilleur film possible.

 

Souhaitons à Magali bonne chance et toute la réussite qu'elle mérite !

Portrait de MarquisDaily
MarquisDaily

Cinéphile, photoshoppeur et rédacteur en herbe

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